Everyday pédaler is very important for the glaciers not to melt (a.k.a. P’tit Névé) est un travail pluriel et mouvant, qui s’intéresse aux glaciers alpins, à leur rôle dans les écosystèmes, à leur préservation et au regard que nous, humains, leur portons.

Il est pensé comme une tentative d’art d’attitude durable, action dont la forme se rapproche d’une performance au long court, ayant comme intention d’éprouver l’art au travers de la vie. Projet dont le processus même fait œuvre —fait « histoire », qui veut penser une pratique incluse dans le quotidien et dont l’intérêt artistique se trouve à tout moment de sa création : conception, réalisation, partage…

Les articles ci-contre, du plus récent au plus ancien, témoignent de ce travail en MOUVEMENT.

MES AUTRES TRAVAUX

@malolmao__

Cagnotte participative

Sauts de glaciers (5)

10/10/2023

Ce voyage est le premier que je fais avec la glacière. C’est, dans mon esprit, la première pierre du projet qui consiste à « relier les glaciers ». Pourtant, ce texte ainsi que les quelques autres que je publierai à sa suite ne sont pas tant le récit de cette aventure, mais plutôt celui d’un essoufflement. le témoignage d’un fiasco raconté en direct, vécu comme un retentissant échec. Une impasse trouvée au fond d’un val italien. Une remise en question si importante pour la suite.

Je suis levé pour regarder le lever de soleil. Mais j’aurais aimé être là avant pour observer la lumière qui, bien avant que le soleil ne s’élève au-dessus des montagnes, semblait irradier l’horizon, d’après les couleurs qui traversaient les planches de l’abri.

J’hésite beaucoup à avancer un peu plus loin. Là-haut, pas si haut, mais quand même. Ce glacier me fait de l’œil. Hier, j’ai laissé mon fragment de glace du Rutor sur un caillou. La nuit a été fraîche mais pas tant que ça. Il n’en reste rien. Cette nuit, je me suis retourné dans le lit. J’aurais dû y aller. Aurais-je dû y aller ? Et le matin venu, sans plus de glace du Rutor à déposer, cela en vaut-il encore le coup ?

À la place du bloc de glace, j’ai écrit un mot. Il est destiné au glacier du Petit Mont Blanc, que je souhaite atteindre ce soir, dans l’espoir de pouvoir l’approcher de plus près.

Je pars à 8h30 du Bivouac. C’est tard, je le sais. En redescendant par la crête abrupte, je me convaincs d’avoir fait le bon choix. Déjà, au Rutor, j’avais imaginé comment poursuivre le travail, comment façonner ce lien entre les glaciers sans morceau de glace, dans les situations où il ne serait vraiment pas possible d’en récupérer un. Même si, sur le coup, je me contente de mon petit bout de papier… quelque chose ne va pas, tout de même. C’est trop improvisé… Ça ne tient pas debout. Dans ma tête, la structure branlante de mon geste vacille.

À nouveau, je marche deux heures sur la route goudronnée. Aujourd’hui, je me mords vraiment les doigts d’avoir laissé mon vélo à Planpincieux. Je m’en veux car ces deux heures, elles me coûtent beaucoup.

À cause d’elles et aussi parce que je n’ai pas de morceau de glace dans le sac pour me presser le pas, j’hésite.

L’ascension qui doit suivre, jusqu’au Biviacco Rainetto, à 3000 mètres d’altitude, commence à me trotter dans la tête. Il est midi quand j’arrive au bar. Je dois recharger la batterie de mon téléphone.

Puis surtout, il faut que j’atteigne la cabane du Combal, au fond du Val Veny, qui fait face au Val Ferret et en direction de l’Ouest. Et cela représente 700 mètres de dénivelé à vélo. La marche, même à pic, ça passe. Mais là, je sens mon genou me lâcher une nouvelle fois. Je n’ai pas mal mais j’ai enfin retenu la leçon. Les autres fois, il m’avait fallu franchir la limite avant de comprendre ma connerie.

Alors ces deux heures de marche, elles me restent en travers de la gorge. Assis à la table du bar, je passe trop le temps à penser. Je tourne et retourne l’ascension dans ma tête. Finalement, je me débine.

En fait, j’ai raison car, passé 13h, ça commence à être un peu juste. Une heure et demi de vélo plus quatre heures de grimpe. S’il me faut redescendre pour telle ou telle raison au beau milieu de la randonnée…

Quelques minutes plus tard… moi qui pensait passer la nuit en haut, me voilà en train d’écumer les sites de booking d’hôtel… Déjà deux nuits passées en chambre d’hôte. Là, ça me soûle de perdre mon temps à en chercher une autre. Et ma motivation commence à se dissiper. Je ne sais plus où je vais. Je tente de me projeter vers les autres destinations envisagées dans ce voyage. Miage ? Petit Mont-Blanc ? Grand Etret ? J’envisage tous les scénarios dans ma tête et sur la carte mais rien n’y fait. Soit c’est le genou, soit c’est la nuit. Trop de kilomètres, de dénivelé. Pas assez de temps.

Je voulais m’effacer derrière le fragment de glace : n’être plus que le porteur du morceau de glacier, veillant à le préserver coûte que coûte. Et me voilà de nouveau au centre de la pièce. C’est moi qu’on attend, car je n’ai pas d’endroit où dormir. Et personne n’attend d’ailleurs, car il n’y a même pas de morceau de glace. Rien ne va plus. Dans ma tête, c’est tout confus.

Je dois apprendre de mes erreurs, de cet échec. À l’avenir il faudra prévoir des logements, les coûts, prendre des marges sur les temps de chaque chose. Comprendre que je ne peux pas tout faire tout seul.